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Ils ont 17 et 22 ans. Ils s’aiment.
Un checkpoint les sépare. Autour d’eux,
c’est la guerre et la désolation. Ils sont
nés avec. Ils ont grandi dedans. Ils se sont
rencontrés pendant. Leur avenir ? impossible
à imaginer. Ils vivent sous couvre feu total
depuis 89 jours. Maysan habite chez ses parents à
Naplous. Sliman, 10 kilomètres plus loin, dans le
village de Salem. Avant le couvre feu, il était
chauffeur de taxi. Aujourd’hui, il attend.
Malgré la pauvreté, malgré le danger,
malgré le couvre feu, malgré les attentas,
malgré... on les a mariés. Qu’est ce que
ça veut dire se marier en temps de guerre ? une
atmosphère inquiète. Une joie ternie,
sombre, désespérée et puis après ?
Pas de musique, pas d’électricité,
tres peu de youyous. Les soldats israéliens qui
entourent le village. Un mariage en petit comité.
En plein jour. Pas question de faire une fête la
nuit. Une quinzaine d’amis autour d’une
table. Pas plus. Des habits ordinaires, quelques klaxons
de joie et ces images, tout un symbole. Comme si le
mariage avait lieu à cet instant-là,
précisément lorsque le marié cherche sa
femme de l’autre côté du
checkpoint... Aucun bruit ne vient
perturber le cheminement du cortège
endimanché dans les gravas. Aucune
réaction des soldats quand les jeunes
époux, main dans la main, déambulent à
côté du char israélien. L’amour
prend le dessus, mais il demeure bien fragile,
circonscrit dans ce strict moment, et le visage
fermé de la mariée, semble nous dire que le
plus dur est à venir. Un mariage, une
déchirure. En épousant Sliman,
Maysam rompt avec sa famille, ses
parents, ses frères. Elle ne sait pas quand elle les
reverra. Ils ne sont pas autorisés à
se déplacer. Entre eux un mur
invisible d’incertitude. Longueur 10 km. On
fait la féte d’un côté, de
l’autre, non. Une moitié de fête, mais
une fête quand même. On fait comme si tout le monde
est là, tout le monde va bien. Même le
frére martyr (chahid) de Sliman est là, sur du
papier glacé, il trône sur le pare-brise
arrière du taxi décoré. Les mariés
s’engoufrent dans la voiture, et
c’est parti pour deux tours
d’honneur dans ce décor
militaire, devenu irréel, absurde. À 50
mètres de la maison, la voiture s’arrête. Le
reste se fait à pied. Le couple est acceuilli sous
les bravos des proches, des voisins. Une majorité de
femmes. En dehors de cette procession, les rues
sont désertes. Le marié se retrouve
immédiatement propulsé sur les
épaules d’un cousin, les
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femmes chantent, dansent. Sur le pas
de la porte, Maysam jette une poignée de
pâte blanche à base de farine en direction
de la porte. Si ça colle, c’est que ça va
coller entre eux et qu’ils vont avoir des enfants,
Si ça ne colle pas, le pire n’est pas loin.
Evidemment, ça colle. Les femmes entraînent
alors Maysam au premier étage pour qu’elle
découvre sa nouvelle chambre. 20m2 dans la maison des
parents, un grand lit sur un sommier en bois, une armoire
contenant tous les habits qu’il lui a achetés. Un
miroir, une petite télé, un coin toilette. Retour
au salon. Les mariés sont assis sur une estrade. Un
musicien a pris sa darbouka et le chant traditionnel
qu’il entonne emplit la pièce. Tout le monde
se presse autour des mariés.
L’heure est aux souhaits,
aux félicitations. « Beaucoup
d’enfants » « La bonne vie » « La
paix » « Une vie dans la paix ». Une
femme fait le tour de la pièce pour montrer
le cadeau du marié à sa femme.
Posée délicatement sur du satin blanc, une parure
dorée, du plaqué or. C’est un mariage
obligatoirement pauvre. Pas de mouton égorgé, en
guise de repas de noces, un plat unique : riz au lait,
poulet. Les enfants font bombance, les invités
aussi. C’est toujours ça de pris.
C’est toujours ça que la guerre
n’aura pas.
PHOTOS : © YOUSSEF BOUDLAL
TEXTE : © AUDE BOISSAYE
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